Ce blogue a été créé par Agnès Grimaud, l'auteure du roman Papillons de l'ombre . J'y ai déposé mes sources d'inspiration, des photos de voyage et bien d'autres choses. Cela dit, mon voeu en tenant ce blogue est qu'il devienne un carnet des lecteurs plutôt qu'un simple carnets de souvenirs. Alors, exprimez-vous !

Création du roman

 Écrire à son rythme, lanterne au poing

Texte daté du 4 novembre 2012 après l'écriture de la 2e version du récit.


Source de la photo : photl.com
Ces Ravisseurs du jour [premier titre des Papillons], je les ai «écrits à la lanterne» pour reprendre une expression de Jean-Claude Mourlevat, qui la tient lui-même d’un de ses directeurs littéraires. En inventant cet univers, j’ai pénétré dans une forêt dense, qui fait partie de mes terres. Je n’avais pas d’appréhension. Dès le début de l’écriture, la différence de mœurs entre les Vorgombres et les Maïvorgs étaient clairement établie. J’ai néanmoins rapidement constaté que mes personnages risquaient tous de se chauffer du même bois. Je me suis arrêtée, le temps de quelques recherches, pour trouver l’essence de chacun. Comment perçoit-il le monde ? Comment prend-il ses décisions ? Quelle énergie l’anime ? Quant au cadre naturel du récit, il me suffisait de fermer les yeux afin de revivre l’enchantement ressenti lorsque j’ai foulé les prairies de Tuolumne à Yosemite durant l’été 2008, quelques mois avant que j’entame la rédaction de cette histoire. S’il y a un grand amour dans ce roman, c’est celui que j’éprouve pour la nature.

Mais revenons à cette idée d’écriture à la lanterne. J’ai mis trois années à créer la 1re version des Ravisseurs. Il m’a fallu, à plusieurs reprises, quitter ma forêt pour retourner à l’enseignement. Je sortais de ces bois par un chemin, et j’y rentrais par un autre. Je n’avais ni plan ni sentier balisé. J’en aurais eu que cela m’aurait formidablement stressée : on n’abandonne pas aisément ce qui est tout tracé ! Heureusement, je possédais une lanterne à la mèche longue, qui ne demandait qu’à être rallumée le temps d’une nouvelle expédition. Elle m’a permis d’avancer d’une manière qui me convient : tranquillement, dans un halo préservant le plaisir de la découverte parce qu’il n’illumine pas tout d’un coup. Elle m’a servi de guide, m’imposant un rythme d’écriture lent, parfois sinueux, mais ô combien passionnant. J’ai ainsi pu cartographier mon monde imaginaire au gré des rencontres et des obstacles. Je dois beaucoup à cette lanterne, aux éclats singuliers qu’elle a projetés sur mon récit, aux ombres qu’elle a su éclairer.

En période de création, j’ai besoin de beaucoup marcher. Après trois kilomètres, l’inspiration se met elle-même en marche ! Je me déplace à pied de la même manière que j’écris : rien ne peut me détourner de ma destination, mais je déteste y aller en ligne droite. Les ruelles montréalaises et leurs jardins ont sur moi un irrésistible pouvoir d’attraction. Je n’éprouve pas d’angoisse de la page blanche. Parce que j’ai très vite saisi qu’il ne servait à rien de rester là assise, immobile, devant mon clavier.

Au cours de l’été 2011, j’ai terminé la 1re version de mon manuscrit. La finale du récit était abrupte, car j’envisageais d’entamer rapidement une suite. Puis, j’ai convenu que c’était irréaliste en raison de ma situation familiale et professionnelle. Du coup, il devenait impératif de sceller davantage le sort de mes personnages. J’en fus drôlement embêtée. Ma lanterne n’éclairait plus rien. Je ne voyais tout simplement pas le début de la fin. J’ai alors songé à composer une carte heuristique, histoire d’obtenir une idée d’ensemble de ce que j’avais fait jusque-là. Ô surprise ! Quand j’ai bien eu établi les liens entre mes personnages, j’ai pu observer tout ce que j’avais laissé en suspens. Il me suffisait de relier certains fils.

Carte heuristique des personnages du roman

Sont-ils tous reliés ? Restent ces fameuses trouées. Avec la plupart, je vis très bien. Que Gaelle et Ewan ne s’embrassent pas langoureusement à la fin du roman, que leur amour soit naissant ne me gêne pas du tout. Ne me gêne guère non plus, le fait qu’Ewan pourrait, un jour, quitter Imeronx en quête de ses origines. Ce sont de réelles possibilités. Faut-il les taire sous prétexte qu’elles n’appartiennent pas au temps de cette histoire ? Faut-il absolument clore le récit sur lui-même ? Pourquoi devrais-je sceller définitivement le sort des uns et des autres ? Qu’on me reproche comme auteure de n’avoir pas tout dit, tout expliqué, est-ce grave ? Je me questionne réellement à ce propos.

Il y a tout de même des trouées qui m’indisposent. En écrivant ce texte, je remarque qu’aucune ne concerne des personnages humains. Elles se rattachent toutes aux papillons. Je crois avoir laissé trop de questions sans réponses. Dois-je m’intéresser d’un peu plus près à la désertion d’Awi et de Svreid ? La justifier davantage ? Et surtout, que se passera-t-il avec les Maïvorgs de la clairière ? Chercheront-ils à se venger ? De qui ? Comment en finir mieux avec eux sans ajouter cent pages à cette aventure ? Me revoilà plongée dans le noir. J’aimerais que quelqu’un m’aide à tirer quelques fils ou me donne quelques allumettes… 

Parler des belliqueux Maïvorgs m’entraîne sur une autre voie. Quelque chose dont j’ai vraiment
pris conscience en rédigeant les derniers chapitres de la 2e version. À mes yeux, mon récit met en scène une véritable violence. De nombreux personnages se trouvent ébranlés par le sort : Gaelle est arrachée à l’enfance, forcée de se taire à propos des Vorgombres; la famille Miller est démembrée avant d’être déracinée; Lhoumey collabore avec l’ennemi malgré lui; Tanaïs, Bruk et Djune trahissent leur nature profonde pour protéger de jeunes humains. Quand Tracady dévoile à Muir les circonstances de la mort de son frère, la vérité est horrible à entendre. Cette violence est le plus souvent intériorisée. Sourde, se dévoilant par à-coup, elle n’en demeure pas moins atroce.

Or, j’ai eu énormément de difficulté à créer des scènes manifestes de violence. Henriette meurt loin des yeux, mais non du cœur; le destin de Lhoumey reste incertain tant pour le lecteur que pour l’auteure ! Le seul meurtre que j’ai réussi à décrire en « temps réel », c’est celui d’Ewan lorsqu’il noie le Maïvorg, qui le garde dans la grotte des Cinq-Ours. Est-ce que j’ai tenu à cantonner la violence ? Oui, de toute évidence ! Non par pudeur à bien y penser, mais parce que cette économie de moyens me sied. En même temps, ce refus de scènes de combat direct et sanglant est peut-être ce qui m’empêche de régler le sort des Maïvorgs…

Moses Harris, gravure sur cuivre (1766)

Sur le plan formel, j’ai construit mon récit comme un cocon, ce qui est, en somme, une autre façon d’écrire à la lanterne puisque les événements se dévoilent petit à petit. Il faut ici une certaine patience au lecteur : les choses ne sont pas mises à plat, les actions ne lui sont pas présentées chronologiquement. D’ailleurs, je me suis particulièrement intéressée à la thématique de l’éclosion. Quelle est la cause du schisme entre les papillons ? Une fois extirpée du cocon de l’enfance, comment Gaelle se déploie-t-elle ? Comment Ewan s’ouvre-t-il aux autres ? Et le désir ? Comment perce-t-il les cœurs ? Voilà sans doute pourquoi je trouve naturel que ce récit laisse plusieurs éléments en suspens. J’ai décrit l’éclosion, mais, à mes yeux, la métamorphose, qu’elle soit due à un engagement amoureux ou encore aux bouleversements que peut créer la découverte de ses origines, serait l’objet d’une tout autre histoire.

Un autre thème m’a habitée tout au long de la création : celui de la bienveillance, une disposition qui me semble être indispensable à toute vie en communauté. Cette bienveillance est ce qui lie en définitive les Vorgombres aux humains, et les humains entre eux. Elle se transforme en une solidarité parfois incongrue, devenant, pour plusieurs personnages, un véritable contrepoids à la violence. Je me suis beaucoup amusée à la développer chez des êtres pour qui elle est un contre-emploi : je pense surtout à Awi.

En somme, la création de ce roman m’a beaucoup nourrie. Au-delà de mes intentions, je pourrais toutefois identifier un seul et unique moteur à ce récit : le désir d’écrire une fichue bonne histoire dans une langue qui la porte.

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